Histoire du groupe Marseillais IAM

 

Il y a dix ans, au pied de la Canebière, juste devant la station de métro Vieux-Port, six "gadjos" (traduisez lascars en parlé marseillais) qui répondent aux doux noms de Philippe Fragione, Eric Mazel, Geoffrov Mussard, Pascal Perez, Malek Brahimi et François Mendy "tenaient les murs", comme ils aiment le rappeler.

Les poches vides, ils trouvèrent comme remède au désoeuvrement une passion qu'ils avaient tous en commun le hip-hop. Forts d'une amitié solide, ils vont façonner leur identité autour de vinyles, d'émissions de radios libres (spéciale dédicace à Radio Sprint et Radio Star) et de soirées dédiées à la danse et aux mots. Dans les discothèques, le "new sound" venu de New York avec, pour ambassadeurs, Trouble Funk ou Sugarhili Gang, commence à faire fureur. C'est l'époque aussi où l'on découvre la Zulu Nation d'Afrika Sambataa, dont le message "Peace, Love, Unity and having fun" prône la non-violence et marque les esprits à commencer par ceux des six "gamins". La connexion New York/Marseille n'en n'est qu'à ses premiers pas mais elle se consolidera avec le temps pour aboutir notamment à La saga sur L'école du micro d'argent, plus de dix ans plus tard.

FLASH-BACK

Chili démarre alors sa participation dans Vibration, l'émission la plus écoutés dans la région et rencontre inévitablement un des plus grands croqueurs de disques de la cité phocéenne : j'ai nommé Eric, futur Dj Khéops. La genèse du groupe IAM est née.

Nous sommes en 1985 date à laquelle la groupe Lively Crew voit le jour. Sur scène, ils ne sont que trois Kheops aux platines, Chili qui rappe alors en anglais aux côtés d'un autre Mc, Studio.

En 1987, Chill va convaincre Eric de l'accompagner à New York où ils fréquentent Tony.D, producteur des Jungle Brothers. Ils en reviennent chargés de disques et changent de nom pour s'appeler les B.Boys Stance.

Eric travaille à Prisunic pour se payer le matos tandis que Chill lâche la fac et s'aguerrit sur scène en compagnie des Massilia Sound System, à l'intérieur desquels il rappe au lieu de toaster.

Chill fait alors la rencontre d'un danseur de break, chaudronnier-traceur dans la vie, Jo alias Shuri'N. Les deux font la paire et commencent à se faire remarquer avec les B.Boys Stance. Arrive alors Malek dont la rencontre se fera autour d'une partie de basket en plein milieu du quartier de Balzunce. Il intégré le groupe, notamment grâce à des concerts mensuels à La Maison Hantée, café-musique marseillais à la programmation exclusivement rock.

Un instituteur, Pascal alias Imhotep, qui compose à ses heures perdues, passe là un soir et tout ce petit monde décide de travailler très rapidement ensemble.

Nous sommes maintenant en octobre 89 et B.Soys Stance fait place à Impérial Asiatic Man. IAM prend son envol Plus rien ne pourra les arrêter. S'inspirant des théories sur les pharaons noirs, Chill devient Akhenaton, Eric prend le nom de Suprême Dj Kheops et Pascal celui d'Imhotep, architecte musical. Quant à Jo, grand fan de taoïsme, il se fait appeler Shuri'N Chang Ti. Leur premier concert se fera à La Maison Hantée et une cassette intitulée Concept commence à tourner. IAM part ensuite à la recherche de danseurs. Le choix de Malek, bientôt Malek Sultan, s'impose ainsi que celui d'une vieille connaissance, François Mendy, alias Kephren. IAM est désormais au complet.

 

IAM -. Invasion Arrivant de Mars, Impérial Asiatie Man ou Indépendantistes Autonomes Marseillais.

Ils touchent alors 500 francs chacun pour leur prestation lors d'un concert à Valence. Malek raconte : "Eric partageait l'argent. La première fois qu'il m'a donné un billet de 500 francs, j'étais comme un fou A peine arrivés à Marseille, on a tout claqué !".

IAM forge alors son identité autour de Marseille et du concept Planète Marseille. Jo résume parfaitement son attachement : "Ce n'est pas quelque chose que tu peux définir, c'est en toi. Marseille, tu ne l'aimes pas un peu. Ou tu l'aimes, ou tu ne t'y fais pas". Imhotep surenchérit : "Tu prends IAM, tu le mats à Paris, ça marche plus Il est vrai que IAM est une véritable émanation de l'esprit et de l'histoire de Marseille. Chili est le petit-fils d'un immigré napolitain. Les parents de Jo sont malgaches et réunionnais. Pascal est pied-noir et d'origine espagnole, Malek est algérien, et François sénégalais d'origine alors qu'Eric est à moitié espagnol. Il est difficile de faire beaucoup mieux en termes de métissage et d'origines ! Ainsi, c'est tout Marseille qui est représenté dans le groupe ! Ajoutez à cela une revendication forte de la tchatche et de l'accent, IAM se fera aussi appeler Invasion Arrivant de Mars ou encore Indépendantistes Autonomes Marseillais.

Leur notoriété grimpe en flèche pendant les années 90-91. Durant l'été 90, IAM participe tour à tour au concert inaugural du Virgin Mégastore sur le Vieux-Port de Marseille, assure la première partie de Madonna à Bercy et surtout démarre à l'automne l'enregistrement de son premier album, De la planète Mars. Ils font également la première de Public Enemy à Marseille et, enfin, participent aux Transmusicales de Rennes où ils improvisent un freestyle avec Kid Frost, ce qui leur vaudra de faire la première partis de son concert parisien.

Le 23 mars 1991, sort De la planète Mars, avec, à la clé, les singles Tam Tam de l'Afrique et Planète Mars. Ce dernier titre contient le fameux "On vient de M.A.R.S, ce n'est pas une farce". Mais derrière le méridionnalisme se cache déjà ce qui fera la force du groupe : sa capacité à se transformer dans les textes en chroniqueurs

de rue hors-pair, à l'intérieur d'une scène rap qui n'en n'est qu'à ses balbutiements. Akhenaton résume bien cela "On se promène en ville avec une caméra qui sonde les esprits".

Le meilleur exemple de leur clairvoyance concerne le Front National, qu'ils fustigent dès le premier album. "Je me souviens, ce jour-là, la peur, quand 25 % ont collaboré avec l'envahisseur" (Planète Mars). D'ailleurs, dès 1991, le journal d'extrême-droite Minute, les rebaptisent "De la planète Meurtre". Quelques années plus tard, un des chevaux de bataille d'IAM sera de pousser les jeunes à s'inscrire sur les listes électorales. IAM est désormais conscient de sa responsabilité, mais aussi de son potentiel. En 1992, le groupe s'installe à La Friche de la Belle de Mai, ancienne manufacture de tabac transformée en lieu culturel. Ils y installent leur QG, dans un local de 1 00 m². C'est de là que va jaillir le second album, Ombre est lumière, qui annonce l'ascension définitive du groupe vers les sommets. Nous sommes en 1993 et Mars contre-attaque...

 

Nous sommes au tout début de l'année 1990

Et IAM semble avoir trouvé sa composition définitive, du moins celle qui va lui permettre de se lancer dans la carrière qu'on connaît - deux rappeurs (JO et Chili), un Dj (Kheops), un architecte musical adepte du sampling avec une nette attirance pour les musiques orientales (Imhotep), et deux danseurs (Malek qui ne tchatche pas encore au micro et Kophron).

Ce joli petit monde lance à l'époque sa première banderille enregistrée sous la forme d'une cassette produite par IAM et le Massilia Sound System : Concept, paru chez Roker Promotion.

Le groupe commence à faire parler de lui à travers des premières parties prestigieuses telles que celle du Blond ambition tour de Madonna à Bercy, en juillet 90. Les maisons de disque sont séduites, notamment Labelle Noir qui offre son premier véritable contrat à IAM pour l'enregistrement d'un album. Son responsable n'est autre qu'Emmanuel De Buretel, aujourd'hui président de Virgin France. Il découvre IAM lors du concert inaugural du Virgin Mégastore de Marseille et ne les lâchera plus puisqu'il fondera Delabel en 1992, actuelle maison de disques d'IAM.

Le groupe attendait cela avec impatience et se met au travail au studio Mastersound à Marseille, le rnix se fera lui à Londres. Médiatiquement, le groupe réussit quelques gros coups comme la première partie du concert de Public Ennemy à Marseille,

la 28 octobre 90, ou encore la Rapattitude tour, en compagnie de Saliha et Tonton David. IAM se fait connaître dans de nombreuses villes de France et la rap français prend une nouvelle dimension autour de deux groupes phares : IAM et NTM. En ce qui concerne les chaînes de télé, Olivier Cachin (aujourd'hui rédacteur en chef du magazine L'Affiche) est le seul à développer cette nouvelle culture avec Rapline sur M6, une émission dont le générique est concocté par IAM.

Côté concert, IAM se produira au Printemps de Bourges en compagnie de NTM et de Little MC en mai 91, et la demande est telle qu'on passera d'une salle de 500 personnes à une salle pouvant en accueillir 2000. Le groupe marseillais enchaîne ensuite les singles avec le maxi Red, black and green qui contient le morceau Hold-up mental, sorte de profession de foi du groupe, ainsi que les titres Tam Tam de l'Afrique ou encore Planète Mars. IAM part à la conquête du paysage musical français.

Nous sommes maintenant en 1992 et le premier album d'IAM a vécu au-delà des espérances de tous : place désormais à une étape de professionalisation des membres du groupe.

Pour cela, les six pharaons vont s'installer à la Friche de la Belle-de-Mai, une ancienne manufacture de tabac, prêtée généreusement par la SEITA aux artistes de la cité phocéenne. Un grand local de 100 mètres carrés est mis à la disposition du groupe, avec des vitres aux murs pour permettre aux danseurs de s'entraîner. Le groupe ne débourse rien, en échange d'un concert par an. C'est à l'intérieur de ces murs qu'IAM concoctera sa deuxième offensive martienne : le somptueux double album Ombre est lumière. Le coût de revient de De la planète Mars fut d'environ 500 000 francs, ce qui n'est déjà pas mal pour un premier LP, mais le 19 avril 93 IAM signe un contrat avec Delabel et montre ainsi ses ambitions. Certes, le groupe affiche une longueur d'avance au niveau de la maîtrise technique du son, par rapport aux autres groupes français, mais Chill et Kheops ont toujours su que la salut viendrait d'une connexion avec New York, ville dans laquelle ils se rendent régulièrement depuis le milieu des années 80. New York pour nous, c'était et ça reste la Mecque du rap. Au niveau des influences, de l'esprit et de l'environnement, le meilleur hip-hop est là-bas, déclarera Jo en mai 1 996.

L'idée d'obtenir l'aide d'un producteur américain est depuis longtemps en germe à l'intérieur du groupe et lors d'un des multiples voyages new-yorkais des rappeurs marseillais, le staff d'IAM fait la connaissance de Nick Sansano, l'homme qui va être à l'origine du nouveau son destiné à imposer le style IAM. Le garçon a une très bonne carte de visite grâce à son travail avec Sonic Youth, Run DMC, et surtout la référence Public Ennemy pour qui il produit le 31- album. Il écoute une démo d'IAM et tombe sous le charme C'était un hip-hop vraiment différent avec des samples de sonorités très nouvelles pour moi. A New York, le rap se répétait beaucoup, et là, c'était vraiment original.

Le courant passe si bien entre les marseillais et les américains que Nick Sansano, accompagné de son ingénieur du son Dan Wood vient s'installer en mai et en juin 93 au studio La Blaque, près d'Aix-en-Provence pour l'enregistrement d'Ombre est lumière.

En juillet , Chill, Jo, Eric et Pascal traversent à leur tour l'Atlantique et s'enferment au studio Green Street à Soho. Imhotep jubile Pour la première fois, on allait à New York pour bosser !

IAM croise beaucoup de monde à commencer par Tony D, l'ami de la première heure, mais aussi David Charlet, un français expatrié à New York qui est un collaborateur de l'émission rap la plus regardés aux Etats-Unis : YO! sur MTV. IAM va alors avoir la privilège d'être le premier groupe de rap européen à figurer au programme de cette émission culte. Nous sommes le 3 septembre 1993. A Paris, ce passage aura un retentissement incroyable. IAM entre dans la légende. Ce n'est qu'un début.

Si vous rencontrez un marseillais dans la rue, par hasard, et que vous lui demandez de vous parler du printemps 93 à Marseille, il vous sera immanquablement répondu neuf fois sur dix : "le 26 mai à Munich, l'OM devient champion d'Europe, but de Boli !" Pourtant, à ce moment-là, dans un petit studio pas loin d'Aix-en-Provence, un groupe travaille d'arrache-pied à la confection d'un des albums majeurs du rap français, au même titre que le fameux J'appuie sur la gâchette d' NTM.

Pas question cependant pour IAM, de manquer l'épopée des footballeurs olympiens à la conquête des sommets européens. Le groupe, dans son intégralité, revendique un soutien inconditionnel à l'OM, à commencer par Kheops, que l'on croise très régulièrement au stade vélodrome. Déjà en 1992, à l'occasion d'un OM-Milan AC, les rappeurs phocéens ont droit à un reportage dans le 20 heures de TF1 et participent au phénomène médiatique orchestré autour de Marseille et de son équipe de foot. 'L'OM, c'est ce qu'on connaît de plus fort dans notre vie en dehors de la musique." (interview pour Max). Cette déclaration montre bien que le travail musical du groupe en ce printemps 1993 ne peut pas ignorer l'actualité footballistique et Ombre et Lumière en subira les conséquences avec des titres orientés "bleu et blanc" parmi lesquels le célèbre Le Feu dont le refrain sort tout droit des virages du stade, comme un gros clin d'oeil aux supporters de l'OM. Ce titre apparaîtra très vite comme un hymne identitaire, même si IAM ne se revendique pas indépendantiste, loin de là. C'est simplement l'occasion d'affirmer sa foi pour une ville qui connaît des difficultés économiques importantes. Chill déclare: "Quand un peuple perd tout, ce qui lui reste, en dernier c'est la fierté. Et si les marseillais sont si fiers de leur ville, c'est que Marseille est dans un sale état," Tout cela donne le ton de l'album et en studio IAM s'applique à traiter tous les aspects de sa ville sans concessions. Cela engendrera des brûlots du style. Mars contre-attaque ou encore L'aimant. Dans le cas de ce dernier morceau, une maison de production demandera même à Chili d'en tirer un scénario. On attend le film pour l'automne de cette année, avec un nouvelle casquette pour Akhenaton, celle d'acteur et de réalisateur. Une fois l'enregistrement terminé, l'ensemble du groupe s'envole pour New York, direction le Green Street Studio, pour le mixage en compagnie de Nicolas Sansano et Dan Wood les producteurs...

 

De L'ombre la lumière

 

Nous sommes en juillet 1993, et dans le quartier de Soho, IAM s'apprête à donner naissance à l'un des meilleurs albums de l'histoire du rap français. Pour l'occasion, le groupe donne libre cours à ses penchants mystiques sur des titres comme Le dernier Empereur ou bien Le dragon sommeille. lis se servent des talents graphiques d'artistes marseillais qui officient sous le nom de Tous des K. Ces derniers s'occupent de tous les visuels du groupe (albums, tournées) et par extension ils s'occuperont de toutes les pochettes d'albums du Côté Obscur (voir les albums solos d'Akhenaton, Shuri'N, Freeman, 3eme Oeil, Faf Larage, Fonky Family). Cette thématique aura la particularité de sortir des discours purement hip-hop et d'amener des nouveaux fans au groupe, élargissant ainsi l'audience du groupe. D'autant qu'elle n'a rien de factice puisque Jo pratique les arts martiaux depuis longtemps, activité tout autant physique que spirituelle. Il voue un culte à l'ouvrage de Lao-Tseu Tao tâ King et déclare à propos de cette passion : "le taoïsme est une resituation de l'homme par rapport à son environnement : le ciel en-dessus, la terre en-dessous, l'homme n'est qu'un médiateur." Chill, de son côté, découvre sa passion pour l'Islam, lors de ses escapades américaines au contact des rappeurs new-yorkais dont l'afro-centrisme va souvent de pair avec une croyance en la religion musulmane. Il lit beaucoup d'ouvrages où l'on parle notamment de la négritude des pharaons égyptiens et avoue: "j'ai découvert la beauté d'une religion qui est d'une grande spiritualité et d'une grande tolérance." Il prendra le surnom d'Akhenaton pour ces raisons. En effet, Akhenaton, époux de Nefertiti, est le premier qui instaurera dans l'histoire de l'humanité, une religion monothéiste basée sur le culte d'Aton, le cercle solaire. Depuis, il rêve d'un concert d'IAM au pied des pyramides égyptiennes.

Retour à la musique avec une date-clé pour IAM : le 21 septembre 1993, sort le single Donne-rnoi la micro tiré à 1 0 000 exemplaires. Le disque s'arrache au point qu'il est aujourd'hui considéré comme un collector par les fans. En novembre, c'est au tour de l'album de débarquer, un double qui bénéficie d'un engouement immédiat. IAM fête sa sortie lors d'un concert à la Friche qui rassemble 2 000 personnes dans une ambiance surchauffée donnant même lieu à quelques débordements.

Ce 2eme album est bien accueilli par la critique en étant élu album de l'année par le magazine Best, mais le public attendra la sortie du single Le Mia pour donner une nouvelle dimension au groupe. Le clip, signé Michel Gondry, fait partie du succès phénoménal du titre. Il restera une dizaine de semaines en tête des ventes. Le statut du groupe change radicalement de niveau, la médiatisation s'accroit de manière exponentielle : résultat, 600 000 exemplaires vendus. IAM a même droit à L'Olympia en avril 94 et le Dragon s'éveille Tour est un succès au point qu'il faudra changer le progamme initial de salle pour cause d'exiguïté. À Marseille, ce sera même un triomphe avec 8 000 personnes pour l'inauguration du Dôme. Mais ce succès dépasse les rappeurs phocéens et l'image commerciale du Mia finira par les gêner. Le message de la chanson est loin de représenter l'esprit du groupe et IAM avoue avec force qu'il n'y aura jamais de Mia 2. Ceci dit, ils ne refusent pas ce succès qui les amènera jusqu'à être élu "groupe de l'année" aux Victoires de la Musique en 95. Mais Chill déclare à cette occasion : "cette victoire est une partie infime de la victoire éternelle de la musique sur les défaites de l'humanité." Cette mise au point permet à IAM de sortir du tourbillon et de reprendre sa mission en toute sérénité. Les fondations de LÉcole du micro d'argent sont terminées.

«Que cette victoire soit une partie infime de la victoire éternelle de la musique sur les défaites de l'humanité». C'est par cette déclaration tonitruante que Chill et tout le reste du groupe va chercher la 1ere Victoire de la musique acquise par un groupe de rap français. Nous sommes le 13 février 95 et derrière IAM va jouer Sachet Blanc en direct.

Le succès phénoménal de leur 2eme album Ombre est Lumière et l'engouement autour de Je danse le Mie a certes permis au groupe marseillais d'accéder à la notoriété, mais ils vont vouloir instantanément Pecadrer les choses. IAM qui est et ne sera jamais un groupe de discothèque, se défend d'être un simple phénomène du Top 50.

IAM a des choses à dire autour d'un positionnement précis à l'intérieur de la société française en général et de sa ville, Marseille, en particulier. La tournée d'ombre est Lumière, forte de 80 dates, est désormais terminée et le groupe choisit de prendre du recul. Le côté mystique est mis de côté et IAM entame une mutation vers des thèmes plus citoyens.

Akhenaton profite de cette période pour livrer un joyau solo : Métèque et Mat, sorti en octobre 95, Ce disque d'une introspection hallucinante est un prémice aujourd'hui évident de la mutation que va connaître le groupe pour son 3eme album. LÉcole du Micro d'agrgent sortira début 1997 et Shurik'N annonce d'entrée la couleur : «C'est le 1eme album dont nous sommes vraiment contents. A nos débuts nous avions tendance à vouloir trop en dire dans nos textes. Aujourd'hui, IAM s'oriente vers un style épuré.» Les marseillais iront même jusqu'à réenregistrer le disque en 24 jours à Paris en compagnie de Prince Charles, un producteur originaire de Harlem, dont le style correspond bien à ce qui se fait de mieux à l'époque, à New-York, autour de la référence Wu-Tang Clan.

Au triomphe du Mia, IAM choisit de répondre par un hip-hop d'une rigueur implacable, très loin des musiques de camping, et scotché à la réalité sociale, au risque de perdre une majeure partie de son auditoire. Imhotep confirme : «Cet album est plus sombre parce qu'il est le reflet d'une réalité plus dure. Tous les problèmes évoqués dans le précédent album, il y a 3 ans, se sont aggravés.» Il existe plusieurs raisons à cela : le F.N fait régulièrement 20 à 25% des voix dans la région marseillaise, et Toulon, Orange, Marignane et Vitrolles sont tombés dans ses griffes. IAM part alors en croisade avec en fond la stratégie du "Hold-up Mental" qui consiste à évoluer socialement tout en gardant sa mentalité.

Le groupe applique ce précepte, qui date de leurs débuts, et s'engage dans un travail de proximité, en poussant les jeunes de tous les quartiers de Marseille et d'ailleurs, à s'inscrire sur les listes électorales. IAM s'engage aussi contre les lois Debré en participant au single 11'30 contre les lois racistes (en compagnie d'Assassins du Ministère A.M.E.R et de Menelik, sous l'égide de Jean-François Richet). Parallèlement, IAM se tourne vers un esprit documentaire dénonçant la déconfiture sociale des quartiers dits "sensibles", l'avenir assombri des "petits frères", s'attaque aux médias et à la télé. Mais les rappeurs phocéens ne se contentent pas d'un constat amer, ils livrent aussi un mot d'ordre pour se sortir de la: se prendre en main. Et ils l'appliquent à merveille.

Fort du succès de L'École du Micro d'argent (700 000 albums écoulés), IAM crée son propre label (Côté Obscur), et négocie 50% des droits de leurs chansons avec Delabel. Le tout est confié à la "famille".

Le frère d'Akhenaton, Fabien Fragione est manager et le directeur de production est un ami d'enfance. Kephren s'investit dans le management avec le 3eme Oeil et la Fonky Family. On retrouve aussi des vidéastes et des graphistes comme Tous des K, une ligne de vêtement Underground, Mecs de la Rue, au total une soixantaine de personnes dont une bonne douzaine à plein temps.

IAM génère une intensité musicale dont on a pu voir les effets en 1998 avec les albums de Imhotep, Shurik'N et Les chroniques de Mars, puis en 1999 avec la FF, le 3eme Oeil, Faf Larage, Freeman ou Def Bond, sans parler de Sad Hill et de la 00 de Taxi. Grâce à des petites structures de production comme Cosea, Kif-Kif, Tanto ou Sad Hill, les projets peuvent désormais se développer en toute liberté et en toute indépendance, Le concept de "Planète Mars" est désormais installé et IAM en est le véritable instigateur, contribuant à changer d'années en années l'image écornée de leur ville. A l'heure où la cité phocéenne vient de fêter ses 2 600 ans d'existence, elle ne peut qu'être ébahis par le parcours de ses rejetons dans le hip-hop. Cela fait d'IAM un des fleurons de la ville et un exemple d'activisme local hors du commun.